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Bonaventure, présenté par Frère André Ménard

La personne et l’œuvre de Bonaventure (1217-1274) revêtent un intérêt particulier pour l’histoire, la théologie et la spiritualité franciscaines car elles ont su cristalliser l’héritage du premier développement de l’ordre franciscain, défendre l’existence de cette nouvelle religion et poser les bases de son devenir institutionnel et spirituel. Bonaventure appartient à la deuxième génération des frères et au cercle des maîtres parisiens. Sa réflexion et son action seront fortement marquées par cet enracinement franciscain et son long mandat de ministre général. Ses œuvres spirituelles lui assureront un rayonnement durable.

Parcours et vie

Bonaventure naît en 1217 à Bagnoregio au nord du Latium. Vers 1235, il est étudiant « ès arts » à Paris 3. Maître in Artibus, il entre chez les Frères mineurs en 1243. Il se forme alors à la théologie sous la conduite d’Alexandre de Halès, Jean de la Rochelle, Guillaume de Méliton et Eudes Rigaud. À partir de 1248, il commence à enseigner la Bible, en 1250 il commente les Sentences de Pierre Lombard et s’adonne aux exercices obligés du commentaire, de la dispute et de la prédication. En 1253 il obtient la licentia docendi. Au même moment éclate entre maîtres séculiers et mendiants la première phase (1252-1257) d’une querelle qui se prolongera jusqu’au concile de Lyon II (1274). La parution de l’Introduction à l’Évangile éternel de Gérard de Borgo San Donnino suscite l’attaque de Guillaume de Saint-Amour dans son traité Sur les périls des derniers temps. À cette occasion Bonaventure ouvre un débat public en soutenant ses questions disputées Sur la perfection évangélique. Le confit soumis à l’arbitrage pontifical s’apaisera avec la condamnation du traité de Guillaume de Saint-Amour et la reconnaissance de Tomas d’Aquin et de Bonaventure comme « maîtres régents ». En 1257, Bonaventure est élu ministre général de l’ordre des Frères mineurs. Sa première lettre circulaire offre un rigoureux diagnostic des maux qui minent la vitalité de l’Ordre. Afin de soutenir l’effort permanent de conversion qui s’impose, il va offrir l’Itinéraire de l’esprit jusqu’en Dieu, la Triple voie, l’Arbre de vie. Bonaventure ne se contentera pas de ces initiatives pédagogiques : il va reprendre en main le groupe des frères d’orientation joachimite, rédiger les Constitutions générales de l’ordre des Frères mineurs (dites de Narbonne) et proposer François comme modèle d’identification dans la Legenda maior et la Legenda minor. L’ensemble de ce programme est accompli en 1266 avec l’approbation du chapitre général de Paris.

À partir de 1267, Bonaventure intervient dans les débats universitaires parisiens et affronte les dangers de l’averroïsme dans ses conférences Sur les dix commandements en 1267 et Sur les dons du Saint-Esprit en 1268. Il intervient à nouveau dans la querelle avec les séculiers que viennent de relancer Gérard d’Abbeville et Nicolas de Lisieux, et rédige une Apologie des pauvres. En 1273 il commence ses conférences Sur l’Hexaëmeron qui resteront inachevées du fait de sa nomination comme cardinal. Il se consacre alors à la préparation du Concile de Lyon II où grâce à l’appui du pape il fera approuver la constitution Religionum diuersitatem nimiam qui supprimera tous les mouvements religieux créés depuis le concile de Latran IV en 1215, à l’exception des mineurs, prêcheurs, carmes et ermites de saint Augustin. Il sera consacré évêque en novembre 1273 à Lyon, remettra le gouvernement de l’Ordre en mai 1274 à Jérôme d’Ascoli (le futur pape Nicolas IV) que les frères viennent d’élire durant le chapitre général. Il tombera malade en plein concile et mourra le 15 juillet 1274. Il ne sera canonisé qu’en 1482 et tardivement proclamé docteur de l’Église en 1588.

Présentation de son œuvre

L’œuvre de Bonaventure est accessible dans les dix volumes in quarto de l’édition critique des pères de Quaracchi et actualisée pour le tome IX (sermons) par les éditions critiques de Jacques-Guy Bougerol. Trois éditions modernes, en espagnol, en italien et en anglais comportent chacune d’amples introductions et pour les deux dernières une bibliographie à jour. En allemand et en français il n’existe pas d’édition globale. De même, il n’existe, en aucune langue moderne, de traduction intégrale du Commentaire des Sentences, une œuvre pourtant capitale pour comprendre l’assise et le développement de la pensée de Bonaventure.

La production bonaventurienne peut être regroupée en 3 constellations :

– La première comporte les figures imposées de la formation et du premier enseignement : les Commentaires scripturaires, le Commentaire des Sentences de Pierre Lombard, les Questions disputées Sur la science du Christ, Sur le mystère de la Trinité et Sur la perfection évangélique ; on y ajoutera le De reductione artium.

– La seconde, même s’il est difficile de dater avec précision telle ou telle œuvre, se développe autour de l’élection de Bonaventure
comme ministre général et répond à des exigences pédagogiques et pastorales : Breviloquium, Itinerarium mentis in Deum, Triplici via, Soliloquium, Lignum vitae. On y ajoutera le De perfectione vitae ad Sorores.
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– La troisième comporte des œuvres étroitement liées au service du ministre général : Constitutions générales de l’ordre des Frères mineurs, Legenda maior de saint François d’Assise, Legenda minor de saint François d’Assise, Apologia pauperum, et les dernières conférences Sur les dix commandements (1267), Sur les dons du Saint-Esprit (1268), sur l’Hexaëmeron (1273).

Ces regroupements sont significatifs, mais on peut aussi envisager une approche transversale non moins féconde : œuvres d’approfondissement théologique, œuvres pédagogiques d’initiation spirituelle et œuvres d’enracinement franciscain. Chacun de ces regroupements permettrait en effet d’aborder les principaux points de débats suscités par l’œuvre de Bonaventure : sa conception et sa mise en œuvre d’une théologie pratique et sapientielle comme axe d’intégration des autres savoirs ut boni famus ; une initiation chrétienne dont le langage platonisant traditionnel ne masque pas le paradigme kénotique de l’Incarnation ; l’interrogation suscitée par l’interprétation du développement de l’Ordre par un Bonaventure qui semble bien avoir entendu et utilisé le passage de témoin ofert par François : « J’ai accompli mon œuvre, à vous d’accomplir la vôtre. »

Quelques ouvrages permettent de mesurer l’ampleur et la variété de la recherche universitaire déployée autour de l’œuvre de Bonaventure : le volume San Bonaventura maestro di vita francescana et di sapientia cristiana (Rome, 1976), les cinq volumes de San Bonaventura 1274-1974 (Rome,1972-1974) ; le volume Bonaventura Studien zu seiner Wirkungsgeschichte (Werl, 1976) et tout récemment le volume A Companion to Bonaventure (Leyde, 2014). Les trois premiers ensembles témoignent de la richesse et de la variété de la recherche du XXe siècle, tandis que le dernier se tourne vers l’avenir en offrant les premiers fruits de nouveaux chantiers capables de faire progresser notre perception et notre intelligence de Bonaventure.

Lire Bonaventure ?

La spiritualité bonaventurienne est fondamentalement chrétienne : son épicentre est constitué par l’incarnation kénotique et salvatrice de Jésus Christ. La vie de Jésus, source de la révélation et pleine manifestation de l’amour créateur, rédempteur et sauveur, montre qu’une vie d’homme peut prendre forme de vie divine. Bonaventure ne cessera de proposer un chemin d’accomplissement pour une vie humaine menée sous l’inspiration de l’Esprit du Seigneur. La conformation pascale en sera la marque, signifiée chez François par les stigmates qui renvoient à la manifestation du Christ ressuscité à Tomas. La voie bonaventurienne consiste à passer du monde au Père. Pour Bonaventure, la vie selon l’Esprit est une affaire de mise en œuvre concrète, de conversion et elle est offerte à tous.

Pour aborder avec fruit la lecture de Bonaventure, il importe de bien situer sa démarche. Chez Bonaventure, les rapports entre savoir et spiritualité ne sont pas ceux d’aujourd’hui. Le chemin se veut et est chrétien : la révélation est au fondement d’une connaissance qui promeut l’accomplissement de la vie (ut boni famus). L’horizon de la pensée est eschatologique parce que scripturaire : seule la révélation nous permet une vision globale de l’histoire allant de l’origine à l’accomplissement et récapitulative de l’amoureux dessein de Dieu qui ouvre sa vie aux créatures. Pour Bonaventure, le travail de pensée s’accomplit dans un cheminement concret, une hodologie caractérisée par une méthodologie d’intégration qui exclut tout arrêt avant le transit pascal (excessus) qui conduit à l’accomplissement de l’union sponsale.

La porte d’entrée la plus sûre est sans doute celle d’une pratique de l’Itinéraire qui a été conçu à l’Alverne, fruit d’une méditation sur l’aboutissement du processus de « christification » de François dont les stigmates signent et signifient l’accomplissement. Bonaventure y propose un chemin d’intégration spirituelle. Il s’agit simplement d’aller au fond des choses, d’accueillir et de laisser fructifier en nous la parole multiforme et opérante qu’est l’amoureuse activité créatrice de Dieu toujours à l’œuvre : décrypter le livre du monde (extra), le livre de la conscience (intra) et le livre de la révélation (supra). Un tel usage de l’intelligence dispose à reconnaître et accueillir un amour tout à la fois stupéfiant et comblant.

L’illumination reçue à l’Alverne représente sans doute la cristallisation lumineuse et unifiante de la quête spirituelle que Bonaventure a menée tout au long de sa vie.
Bonaventure est un miraculé qui tout enfant a expérimenté que la vie était un don gratuit qui pouvait s’épanouir en reconnaissance et action de grâce. Étudiant « es arts » il a connu le choc culturel d’une vision du monde mettant en cause les « évidences » de son enracinement chrétien. Il en surgira un travail constant d’approfondissement de la foi. Attiré par l’actualité et la pertinence du chemin évangélique proposé par l’ordre franciscain, Bonaventure va s’y engager fermement et durablement et entrer progressivement en connivence spirituelle avec François d’Assise. Élu ministre général il va exercer sa charge pastorale en décryptant l’itinéraire spirituel de François, l’offrant en modèle d’identification et fournissant en même temps les instruments pédagogiques nécessaires pour, avec François, mettre ses pas dans ceux du Christ jusqu’à pouvoir dire : « Ce n’est plus moi qui vit, mais le Christ en moi » (Gal 2, 20). Son attachement à l’Ordre, son sens de l’inculturation et sa détermination seront décisifs pour la présence durable du charisme franciscain au sein de la vie ecclésiale.

Notre proposition de lecture voudrait rendre sensible l’enracinement et la progression du chemin spirituel dont témoignent ses œuvres. La question de l’enracinement et de l’approfondissement de la foi est au cœur de la pensée de Bonaventure et structure son engagement de théologien. Voilà pourquoi nous proposons de commencer par un parcours méthodologique : De septem donis, I, 4-8 (V, p. 457-458) et IX, 1-17 (V, p. 499-503) ; Le prologue de I Sent. (I, p. 1-12) ; le prologue du Brevilo- quium (V, p. 201-208) ; In Hexaëmeron, I, 1-39 (V, p. 329-335) ; on élargira la réfexion avec le De reductione artium ad theologiam (V, p. 319-325), les questions disputées De Mysterio Trinitatis Q. I, a. 1 (V, p. 49) , Q. I, a 2 (V, p. 54b-56), Q. VIII (V, p. 114), De Scientia Christi Q. IV (V, p. 22- 24), Q. VII (V, p. 39b-40b) et le sermon Christus unus omnium magister (V, p. 567-574). Nous proposons d’aborder ensuite un parcours de structuration spirituelle : le De perfectione vitae ad Sorores (VIII, p. 107-127), l’Epis- tola continens XXV Memorialia (VIII, p. 491-498), le De triplici via (VIII, p. 3-27), le Lignum vitae (VIII, p. 68-86), le Soliloquium (VIII, p. 29-67), le Breviloquium (V, p. 201-291) ; l’Itinerarium (V, p. 296-313), les questions disputées De perfectione evangelica, Q. I, (V, p. 120a-122b) ; Q. II, a 2, (V, p. 140-142a) ; Q. III a. 1 (V, p. 168-169), a. 2 (V, p. 172b-173a), a. 3(V, p. 176b-177). Nous proposons fnalement un parcours d’intégration francis- caine : le Sermon V De S. Patre nostro Francisco (sermons de diversis, II, p. 789- 812), l’Epistola de tribus quaestionibus (VIII, p. 331-336) ; les Epistolae of- ciales, Epistola I (VIII, p. 468-469), la Legenda minor (Analecta franciscana, X, p. 557-626) et la Legenda maior (Analecta franciscana, X, p. 655-678), l’Apologia pauperum Cap. III, 1-10 (VIII, p. 244-247a) ; l’In Hexaëmeron, XXII, 1-22 (V, p. 437-444a).

Au terme de ces propositions il importe de se souvenir de l’avertissement placé par Bonaventure à la fin de l’introduction à l’Itinerarium, un avertissement qui vaut pour l’utilisation de toute son œuvre : « Je prie donc, que l’on pense à l’intention de celui qui écrit plus qu’à l’œuvre, au sens de ce qui est dit plus qu’au style rudimentaire, à la vérité plus qu’à l’élégance, à la mise en œuvre de la sensibilité (affectus) plus qu’à l’érudition de l’intellect. Pour qu’il en soit ainsi, il ne faut pas parcourir à la hâte ces spéculations pro- gressives, mais les ruminer longuement. »

- Frère André Ménard