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2017-11-16 Léon Harmel, véritable héraut franciscain du catholicisme social -(écho de la conférence)

Cette conférence donnée par un jeune père de famille, descendant de Léon Harmel, M. Eméric Saucourt-Harmel, a passionné son public !

Faisant suite à la soirée donnée par frère Dominique Lebon sur le père Ludovic de Besse, elle illustre un volet nouveau de notre cycle de conférences qui pourrait s’intituler :
Famille Franciscaine (notamment à travers le Tiers-Ordre, nommé Ordre Franciscain Séculier actuellement) et Catholicisme social en France
Léon Harmel (1829-1915), issu d’une famille de simples forgerons, puis héritier d’une filature (à Val des Bois en Champagne), devenu tertiaire franciscain (en 1862), ami du Pape Léon XIII, ayant connu Don Bosco, le Pape Pie IX et le Pape saint Pie X, est un véritable héraut de ce catholicisme social de la fin du 19° siècle.

Léon Harmel comme jeune, pense à se faire prêtre. Envoyé en internat dans un collège chrétien à Senlis (1852), il adhère aux Conférences Saint Vincent de Paul et prend conscience avec acuité de la pauvreté des ouvriers. Mais il doit interrompre ses études pour prendre soin de l’un de ses frères, malade. Là, il rencontre une jeune fille et se marie. Et il se retrouve à 25 ans, à la tête de l’usine de Val des Bois, qui compte alors plus de 1000 ouvriers ! Le père de Léon avait déjà mis en place dans cette usine une Société de secours mutuel.
Il va à Rome avec son père et rencontre le Pape Pie IX. En 1862, il fait profession dans le Tiers-Ordre. C’est une révélation pour lui : il peut être évangélisateur, sans forcément être prêtre.
Il se rend compte que dans son usine les ouvriers chrétiens sont la risée de leurs collègues et que rares sont ceux qui osent s’affirmer comme tels. Il essaie de changer ce climat. Il fait construire une chapelle dans l’usine. Il fait venir les Lazaristes et d’autres congrégations.
Léon Harmel a 9 enfants avec sa femme Gabrielle qui meurt en 1870 des suites des privations dues à la guerre. Léon s’engage alors à vivre les conseils évangéliques. Il manifeste une grande dévotion au Sacré-Coeur.
A travers l’engagement social de Léon Harmel, les concepts de la Doctrine sociale de l’Eglise nous deviennent accessibles de manière concrète.
Léon Harmel, en effet, se rend compte que les lois économiques (sous-tendues par l’idéologie du libéralisme), qui, certes, démultiplient le progrès scientifique, causent des dégâts moraux considérables, et poussent à la misère toute une population ouvrière.

Il fallait trouver des parades et des solutions concrètes permettant de résoudre ce défi. D’où l’émergence, dans la deuxième moitié du XIX° siècle, de ce courant qui sera appelé "catholicisme social" : création de l’Union des Oeuvres, puis l’Oeuvre des Cercles Catholiques, avec des personnes comme Mgr de Ségur, le père Ludovic de Besse, Maurice Maignen, Albert de Mun, René de La Tour du Pin, etc... Le principe des Cercles Catholiques consiste à créer, dans chaque ville, un Comité qui regroupe des catholiques un peu aisés, achète à l’intention des ouvriers, des locaux, met en place des salles de jeux, organise des réunions, des conférences, afin de regrouper les ouvriers et leur faire faire quelque chose ensemble, soit le soir, soit le week-end. Les Cercles Catholiques vont se répandre un peu partout et en très peu de temps réunissent plus de 40 000 personnes (le père de Ste Thérèse de Lisieux était membre du Cercle Catholique d’Alençon).

En 1872/73, dans l’usine du Val des Bois, "l’association des hommes" constituée par Léon Harmel pour regrouper les ouvriers, est rattachée à l’Oeuvre des Cercles. Léon Harmel ouvre de ce fait l’Oeuvre des Cercles, qui au début était plutôt orientée vers des artisans et des ouvriers de petites entreprises, au monde de la grande industrie, ce qui donne un champ d’action énorme à cette Oeuvre. Léon Harmel est invité au Congrès National de l’Union des Oeuvres. Les participants sont enthousiasmés : ce que fait Léon Harmel peut se reproduire ailleurs ! Léon Harmel entre alors dans la vie publique de son temps. Il rencontre d’autres patrons. On lui demande d’expliquer ce qu’il fait : il écrit "le Manuel d’une corporation chrétienne" (1877) qui connaît une grande diffusion vers le patronat du Nord qui a, déjà, mis en oeuvre des oeuvres sociales. Mais il y a un risque d’un certain "paternalisme" : car le patron dirige tout dans son usine. Léon Harmel ne partage pas le point de vue de ces patrons qui agissent comme des petits seigneurs dans leur usine. Il essaie de tourner la page du paternalisme et veut s’efforcer de confier la gestion des oeuvres aux ouvriers eux-mêmes. Amener l’ouvrier à être artisan par lui-même, des solutions envisagées, lui confier des responsabilités : en application du principe de subsidiarité qui est à la base de la Doctrine sociale de l’Eglise ! Ce principe de subsidiarité, il l’applique en mettant en place un "Conseil d’usine", qui instaure un dialogue régulier avec des délégués des ouvriers. Léon Harmel est vraiment là un précurseur ! Ce Conseil est l’ancêtre de nos Comités d’entreprise actuels ! Loin d’être un handicap, ces échanges avec les salariés permettent de déboucher sur des solutions innovantes et a permis à l’usine du Val des Bois de déposer des brevets d’innovation et de faire, accessoirement, de bonnes entrées financières !

En 1885, Léon Harmel part avec une centaine de patrons à Rome. Il rencontre le Pape Léon XIII qui lui demande de revenir, cette fois, avec des ouvriers. En 1887, ils reviennent avec 2000 participants. Le Pape est extrêmement content de ces échanges avec des ouvriers : ce sont des moments où la Papauté se rapproche du peuple de manière visible. Léon Harmel revient avec 10 000 personnes en 1889, avec une organisation extraordinaire pour l’époque ! En parallèle, il y a une tentative de formaliser les principes qui sont à la base de la Doctrine sociale, qui est faite avec des dirigeants de séminaires et des théologiens, ce qui conduit à éditer en 1889, le "Catéchisme du patron".
En fait, la plupart des questions traitées par le Catéchisme du patron seront reprises, en 1891, dans l’Encyclique "Rerum Novarum", l’Encyclique fondatice de la Doctrine sociale de l’Eglise adaptée au monde industriel : Encyclique qui représente, selon Léon Harmel et ses amis, la consécration de leurs orientations... Pour Léon Harmel cette Encyclique est comme la récompense des pèlerinages ouvriers. Le Pape Léon XIII aborde, dans cette Encyclique, des sujets fondamentaux comme la primauté de la personne humaine, la notion de bien commun, le juste salaire, les principes de subsidiarité et de solidarité, et sur un ensemble d’autres orientations que l’on n’a pas, encore, fini de mettre en place aujourd’hui ! L’Encyclique résoud un point, celui des syndicats : et elle encourage les syndicats composés des seuls ouvriers.
Léon Harmel soutient ces syndicats composés seulement d’ouvriers, afin de mettre des bornes au libéralisme (car l’un des problèmes du libéralisme est que celui qui a de l’argent n’a pas de contre-pouvoirs). Mais nombre de patrons ne suivent pas Léon Harmel sur cette voie. Dès 1893, le congrès régional de Reims est le premier congrès qui est géré intégralement par des ouvriers chrétiens. Il est à l’origine du syndicalisme chrétien (la CFTC).
Par ailleurs, Léon Harmel fonde aussi une association de patrons chrétiens : "l’Union fraternelle du Commerce et de l’industrie" pour essayer de dialoguer avec les syndicats ouvriers. C’est l’embryon d’un véritable dialogue social entre syndicats ouvriers et syndicats patronaux.

Un autre sujet sur lequel Léon Harmel est très innovant, c’est sur le salaire. Léon Harmel est éclairé sur ce sujet par un prêtre (Léon Dehon) (tertiaire franciscain lui aussi, et fondateur des prêtres du Sacré-Coeur de Saint Quentin) qui lui conseille de tenir compte de la composition de la famille de l’ouvrier. Léon Harmel instaure dans son usine un "sur-salaire familial", premier pas vers les Allocations Familiales (qui trouvent ainsi leur source dans l’usine Harmel). Ce système du sur-salaire familial va être, en effet, amélioré, quelques années plus tard, par Emile Romanet (un autre tertiaire), qui a l’idée de fonder entre diverses entreprises un système de caisse de compensation, mutualisant le financement du "sur-salaire familial" : ce sera l’avènement des Allocations Familiales. En 1931, 40 ans après Rerum Novarum, le Pape Pie XI va jusqu’à parler dans son Encyclique "Quadragesimo Anno" de la nécessité d’un salaire qui doit permettre de pourvoir à la subsistance de l’ouvrier et à celle des siens : c’est vraiment une avancée sociale que de permettre qu’il n’y ait qu’un seul membre de la famille qui travaille ! (malheureusement, l’évolution actuelle va à contre-courant de ces mesures). Le système des Allocations familiales va être étendu, en France, à toutes les entreprises et rendu obligatoire par une loi nationale de 1932 !
Léon Harmel avec le père Dehon voit souvent le Pape Léon XIII. Il devient un familier avec le Pape avec lequel se noue une relation amicale...
Le Pape missionne Léon Harmel, en tant que laïc, pour aider le Tiers-Ordre à s’adapter aux directives de Rerum Novarum, le TO pouvant être l’instrument de la réforme de la Question sociale ! Le Tiers-Ordre, à cette époque, est pratiquement la seule association internationale de laïcs. En France, un grand nombre des prêtres faisaient partie du Tiers-Ordre. Le Pape Léon XIII pense que le Tiers-Ordre sera l’instrument de la résolution de la question sociale.
Le Pape Léon XIII, le Pape de l’Encyclique Rerum Novarum (1891), qui a été vécue comme la première Encyclique sociale de l’Eglise, est aussi le Pape de l’Encyclique Auspicato (1882), qui a invité au développement du Tiers-Ordre franciscain.

Essor du Tiers-Ordre, restauration d’un ordre social nourri par les valeurs humaines mises en lumière par la Révélation chrétienne, ce sont bien deux volets d’un même projet auquel a adhéré pleinement Léon Harmel.

En complément de ces notes prises au cours de cette conférence donnée par M. Eméric Saucourt-Harmel, nous nous permettons d’ajouter ce mot donné par un père capucin de notre époque (le père Marie-Joseph) parlant de la Doctrine sociale de l’Eglise :
"La Doctrine sociale de l’Eglise : un enseignement bien dans le sens d’un esprit et d’un engagement évangélique franciscain. En effet, pour que la DSE soit efficace, il faut que les chrétiens vivent un certain esprit des Béatitudes : "Bienheureux les pauvres en esprit ; Bien heureux les doux !". Sans cet esprit, esprit de pénitence évangélique, point de monde plus juste, plus fraternel. La paix, la joie de vivre, sont à ce prix !" (extrait d’un film réalisé en 1979 par ce père Marie-Joseph, ofm-cap).


Pierre Moracchini en début de séance nous a montré la photo d’un tableau qui vient d’enrichir les collections anciennes du Musée des Beaux-Arts de Caen. Le Musée avait lancé une souscription pour l’achat de ce tableau : l’Association des Amis de la Bibliothèque franciscaine a été heureuse de pouvoir répondre, dans une mesure modeste (bien sûr !), à cet appel, grâce aux cotisations et dons versés par les membres de l’Association, ce qui correspond tout à fait à sa mission de soutenir la culture franciscaine ! Il s’agit d’un tableau représentant Saint François et un Ange musicien, peint en 1619 par Gérard Seghers.